Je lis ce livre édifiant d’Anna Politkovskaïa. On ne peut qu’être effrayé et scandalisé par ce qu’elle nous révèle sur l’état de corruption de la Russie, les rouages de l’État totalement gangrenés par la mafia, les nouveaux riches et tous ceux qui ont su sortir leur épingle du jeu au lendemain de l’éclatement de l’URSS et avec la succession Eltsine / Poutine. Que dire également de ce dernier, un Chef d’État à la poigne de fer, élevé le 22 septembre dernier à l’ordre de grand’croix de la Légion d’honneur, plus haute distinction française ? Cet homme d’État aux décisions qui nous semblent, à nous Occidentaux, totalement inhumaines, inacceptables ; et c’est bien peut-être là une des sources de notre indignation : notre culture occidentale. Nombre de Russes ou d’intellectuels occidentaux, au fait de la culture russe, affirment que l’on ne peut plaquer notre schéma de pensée, notre culture, sur ce qui se passe de l’autre côté de l’ex rideau de fer. Pour sortir de sa situation critique et prendre en marche le train du modernisme, du capitalisme (ou libéralisme), le salut de la Russie ne pourrait venir que d’un gouvernement fort, énergique… Le peuple russe sort à peine de 7 décennies de régime soviétique alors que nous connaissons la démocratie depuis bien longtemps déjà.
J’entends ces théories et je les comprends. En stigmatisant Poutine les Russes risquent de se replier sur eux-mêmes, sur plus d'extrémisme et de xénophobie que ce qu’il y a déjà. En attaquant Poutine, on touche surtout au gigantesque sentiment national russe. Néanmoins, malgré cette analyse, je ne peux réprimer mon indignation face à la guerre en Tchétchénie, aux exactions de l’armée et notamment de ses responsables, face à ces jeunes soldats envoyés comme chair à canons et qui, lorsqu’ils reviennent, sont bien souvent devenus des bêtes féroces… face à l’appareil judiciaire trop souvent à la solde de Poutine et ses amis, ou marchant au pas face à la mafia… Nous ne pouvons que nous scandaliser de la répression des manifestations anti-gouvernementales ainsi que de celles des homosexuels, nous élever contre les massacres perpétrés en Tchétchénie et couverts par une chape de plomb étatique, nous élever contre le silence radio lors du naufrage du Koursk, contre la boucherie de l’école de Beslan ou précédemment de l’assaut du Théâtre de Moscou. En tant qu’ancien journaliste, je ne peux tolérer non plus les fermetures de certains médias et le contrôle étatique sur d’autres… les arrestations arbitraires, les incarcérations pour motifs ubuesques… et, bien évidemment, l’assassinat crapuleux d’Anna Politkovskaïa. Une journaliste qui n’avait pas la langue dans sa poche face à la situation de son pays, et qui avait été empoisonnée en se rendant aux négociations lors de la prise d’otage de Beslan. Un empoisonnement qui nous rappelle étrangement un autre empoisonnement, cette fois mortel, celui de l’ancien espion russe Alexandre Litvinenko, à Londres où il s’était réfugié.
Dans son dernier ouvrage, « Douloureuse Russie », paru en septembre dernier, Anna Politkovskaïa dresse encore un réquisitoire contre la politique de Poutine, et prédit que s’il éclate une révolution en Russie, elle ne sera ni de velours (comme en Tchécoslovaquie), ni orange (comme en Ukraine), mais rouge sang !...
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3 commentaires:
Votre image d'Epinal de l'Ouest contre une Russie d'enfer est bien naïve. "The world's leading democracy" aidé par "the world's oldest democracy" massacrent des centaines de milliers de gens en Iraq et Afghanistan pour l'énergie et la géopolitique et vous parlez de démocratie.
La France, qui après la guerre était parmi les premiers pays qui ont réclamé les droits de l'homme pour tout le monde, en même temps était en train de massacrer des dixaines de milliers en Madagascar. Ne parlons pas de l'Indo Chine et l'Algérie.
Ce sont les paroles de l'Ouest qui nous séparent de la Russie pas les actions. Aux moins ils luttaient en Tchechenie pour la survie de leur pays.
Et qui a vraiment tué pauvre Anna? Qui sait? Mais on sait certainement que les services de renseignements de l'Ouest ont des compétences largement égales a ceux des Russes en la matière.
Vous citez les journalistes assassinés depuis l'arrivée de Putin mais vous ne dites pas que sous Yeltsin c'était bien pire mais on disait rien parce que il ne créait pas de problèmes pour nos compagnies pétrolières. Allez éssayer de pratiquer le journalisme en *Iraq sous les Américains ou sous nos nouveaux amis en Lybie ou dans bien d'autres pays satellites de l'Ouest.
Robert, je m'attendais à lire des réactions du type de la votre, n'ayant pas souhaité développer plus mon 1er post. Néanmoins, si vous l'aviez bien lu, vous auriez vu que je modérais mon propos et signalais notamment qu'il ne faut pas oublier que nous analysons en Occidentaux, heureux bénéficiaires depuis plusieurs décades d'un régime démocratique. En condensant mon propos, je ne pouvais non plus développer le fait que je trouve, moi aussi, que l'attitude de l'autre "grande nation", les États-Unis, méritent la critique, que ce soit en Irak ou simplement intra-muros, notamment quant aux défavorisés, aux démunis, aux SDF (cf les dizaines de déshérités évacués manu militari à Los angeles). Vous parlez également de l'attitude de la France à Madagascar ou en Algérie... certes, mais était-ce ces 5 dernières années ? Le colonialisme européen, néfaste bien souvent pour ne pas dire chaque fois, doit-il permettre de valider la politique de Poutine et son armée en Tchétchénie ? Les massacres et tortures perpétrés par l'armée française datent d'il y a combien d'années ? De même, une fois que l'on prend le temps d'être équitable en critiquant l'attitude des gouvernements des États-Unis (notamment Bush père et fils), de Cuba, de Corée du Nord, et bien d'autres encore malheureusement... ne peut-on se pencher sur le cas de la Russie ? Est-elle intouchable ?
Vous me rappelez mon ex-épouse, Moscovite cultivée, intelligente, parlant couramment français, qui ne supportait pas que l'on évoque les problèmes de gestion gouvernementale dans son pays, notamment face à la Tchétchénie, par nationalisme exacerbé, mais qui pourtant était la première a douter notamment des motifs ayant déclenché la seconde guerre en Tchétchénie !... Une jeune femme intelligente mais qui pourtant, à coup de propagande dans son ancien pays, ne pouvait voir le Tchétchène, et plus largement le Musulman, que comme un danger latent, un sous-homme dangereux. Incroyable non ?
Alors, si vous relisiez mon post, vous verriez que j'ai découvert la Russie comme un pays empli de richesses de coeur, de courage, de culture mais qui peine à sortir de 70 ans de privations. Un pays qui a besoin sûrement d'un homme fort pour raccrocher son wagon, mais pour autant, les méthodes de Poutine me choquent. Je ne suis pas victime d'une image d'Épinal de l'Ouest puisque j'ai appris à connaître de l'intérieur la Russie. je suis simplement déchiré entre les capacités gachées de ce peuple et ce qu'on leur fait vivre politiquement actuellement. Par ailleurs, je pense que Mme Politkovskaïa était la mieux placée de nous deux pour avoir un regard critique sur son pays et votre expression "qui a tué pauvre Anna" est à la limite du manque de respect vis à vis de cette femme qui a tout de même, je vous le rappelle, été assassinée. Quant aux nombres de journalistes tués sous Eltsine, doivent-ils excuser ceux qui ont péri depuis "l'avènement" de Poutine ?
Critiquer le mode de gouvernement de Poutine, s'en inquiéter, ne veut pas dire que l'on souhaite plaquer un modèle occidental sur la Russie, ni que l'on est aveugle face aux exactions passées ou actuelles d'autres pays dits démocratiques.
Je partage ton avis,Jean-François quant à l'inquiétude a avoir envers le mode de gouvernement de Poutine.On voit réssurgir aujourd'hui,des méthodes oubliées comme le subit internement de la journaliste russe Larissa Arap,punie d'avoir oser dénoncer les mauvais traitements infligés à des enfants dans un hôpital psychiatrique.La Russie n'a d'ailleurs jamais fait son mea culpa quant à l'utilisation répressive de ce type d'établissement par l'URSS.De même,films et livres "patriotiques" sous- estimant les crimes de Staline pour souligner son rôle de vainqueur du nazisme font fureur.Chaque année,"le jour du Tchékiste"(nom historique des officiers de la police secrète)est célébré avec la participation du président,alors que le 70e anniversaire de la terrible année de 1937 ne fait l'objet d'aucune manifestation officielle.
Bravo pour ton blog,il ne manquera pas d'apporter des discussions houleuses qui sont toujours enrichissantes
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